venerdì, gennaio 04, 2008

L'articolo rubato


"Fatwa" à l’italienne
PAR ANTONIO TABUCCHI, ÉCRIVAIN
vendredi 10 octobre 2003

"Si on me tue, souvenez-vous que les mandants linguistiques sont Antonio Tabucchi et Furio Colombo, en étroite collaboration." Telle est la déclaration à la fois louche et vulgaire de Giuliano Ferrara, dans le journal Il Foglio (6 octobre), après annonce aux agences de presse. Furio Colombo est le directeur de L’Unità, un des désormais rares journaux qui n’appartiennent pas à Silvio Berlusconi, et auquel je collabore. Un journal qui a pris des positions fermes et courageuses en faveur de la démocratie et qui se trouve maintenant plutôt isolé. Antonio Tabucchi, c’est moi. Mais qui est Giuliano Ferrara? Un portrait rapide s’impose, pour qui ne le connaîtrait pas.


Fils d’un haut dignitaire du Parti communiste italien, Ferrara s’est formé en Union soviétique, où il a fréquenté l’université de Moscou au temps de Brejnev. De retour en Italie, il devient une figure de proue de la "contestation" très proche des groupuscules révolutionnaires de l’extrême gauche marxiste-léniniste (il y a une célèbre photographie prise de lui pendant un assaut contre la police à Rome). Déçu par la politique modérée et pro-européenne du PCI de Berlinguer (pendant ces années-là, les Brigades rouges, en assassinant Aldo Moro, empêchèrent ce qu’on avait appelé le "compromis historique" entre la Démocratie chrétienne et le PCI), il se rapproche du socialiste Bettino Craxi dont il suivra l’itinéraire politique, de l’ascension à la chute.

Après la fin de Craxi - mort en contumax en Tunisie après sa condamnation pour corruption par un tribunal de la République -, Ferrara se reporte sur Berlusconi et devient un des grands artificiers médiatiques de son arrivée au pouvoir. Au début, il se voit confier l’émission de télévision "Radio Londres" (on appréciera l’ironie), puis il est nommé ministre dans le premier et éphémère gouvernement Berlusconi en 1994.

Ensuite, il prend la direction d’un hebdomadaire de l’empire Berlusconi, Panorama, le plus puissant véhicule de la propagande berlusconienne, consacré à discréditer les personnalités de la politique, de la culture et du spectacle opposées à Berlusconi. Dans ce travail, il collectionne une centaine de plaintes pour diffamation, mais l’important dans la stratégie mise en acte est de diffamer, étant donné que pour un milliardaire comme Berlusconi, indemniser les préjudices compte pour rien.

Enfin, Ferrara devient le directeur d’un nouveau quotidien, Il Foglio, propriété de Veronica Lario, épouse de Berlusconi, publication qui bénéficie toutefois d’une contribution de l’Etat (par l’effet d’une loi très italienne conçue par un parlementaire, Marco Boato, qui dans les années 1960 militait lui aussi dans les groupuscules d’extrême gauche). Il Foglio est le journal dans lequel Berlusconi publie ses discours ou proclamations. C’est là qu’il se fait interviewer lorsqu’il a en tête une nouvelle loi (il méprise le Parlement et a pour habitude d’utiliser ses journaux ou la télévision pour faire connaître sa "pensée" aux Italiens).

Le langage de ce journal et de Ferrara lui-même est, comme nous le verrons, agressif, vulgaire et menaçant. Un langage identique à celui utilisé par Ferrara dans son émission sur une nouvelle chaîne de télévision, La 7, autre tribune dont il a tiré un énorme pouvoir grâce à sa grande capacité à intimider tout adversaire de son patron.

Revenons en arrière : un peu avant l’été dernier, toujours dans Il Foglio et aussitôt après dans son émission télévisée, Ferrara procéda à une "autodénonciation" en révélant qu’il avait été par le passé un informateur des services secrets américains œuvrant en Italie, la CIA. Mais attention : il ne s’agissait pas de la déclaration de quelqu’un qui se repent d’une activité louche ; tout au contraire : Ferrara l’annonçait triomphalement, avec arrogance, déclarant qu’il l’avait fait pour protéger l’Italie du communisme et se vantant d’avoir été grassement payé pour ses services.

Il jouait simplement la carte de l’anticipation. Comme la CIA venait d’ouvrir aux historiens certaines de ses archives assez récentes, où son nom apparaît probablement, il s’autodénon-çait avant d’être dénoncé par un historien.

Ce qui est curieux, mais qui appartient au climat de l’Italie de Berlusconi (une Italie intimidée, désorientée, en grande partie bâillonnée pour ce qui est de l’information), c’est le fait que les infâmes déclarations du sieur Ferrara ne suscitèrent aucune réaction. J’osai exprimer ma stupéfaction, par écrit, dans L’Unità.

Pour la raison, entre autres, que la CIA ne paie pas grassement pour des informations touristiques, et parce que le passé récent de mon pays est fait de bombes, de terrorisme et de massacres. Et la "commission parlementaire Massacres" (un nom sinistre, certes, mais c’est le sien), présidée par le sénateur Pellegrino, a produit une énorme quantité d’actes parlementaires (en partie publiés et en tout état de cause à la disposition des citoyens) où il est démontré que beaucoup de massacres italiens à caractère séditieux furent organisés par les services secrets italiens "dévoyés" en collaboration avec certains services secrets étrangers, dont la CIA.

A présent, Ferrara dénonce de manière assez alarmante son possible assassinat et désigne a priori ma personne et celle du directeur d’un journal comme les mandants. Mandant "linguistique" : expression curieuse qui révèle la volonté de faire taire un écrivain qui, comme moi, utilise l’instrument de la parole.

Après la citation par laquellle j’ai commencé, Ferrara écrit : "Souvenez-vous en pour y remédier, et pour empêcher que l’omelette soit comme d’habitude retournée : je ne voudrais pas mourir moi aussi comme un martyr de la gauche bon chic bon genre, étant donné que le pape en charge de cette gauche, mon vieil ami- ennemi Piero Fassino, a eu la courtoisie d’écrire dans ses mémoires que malgré mon sale caractère et mon travail passé d’analyste pour l’espionnage américain, je reste "un des leurs".

"Cependant, ensuite, pardonnez-leur, car ce sont deux pauvres âmes en peine. J’ai parlé de "mandat linguistique", parce que je ne suis pas spécialiste du moralisme et que je ne comprends donc pas le concept de concours moral. Depuis longtemps, Antonio Tabucchi, qui est justement un écrivain et qui utilise le langage, m’assimile de façon oblique et menaçante (menaçante pour les autres, pour la communauté des hommes libres) au nom de Silvio Berlusconi. (...) Il offre de la personne la plus transparente du monde, jusqu’au grotesque, la version onirique d’un agitateur qui travaille dans l’ombre. Une invitation à des noces ? Non, une invitation à tuer. Qui ne revêt pas de "caractère pénal", mais qui a une importance linguistique décisive."

Je fais observer ceci : très astucieusement, Ferrara précise que ce que j’ai écrit sur lui ne revêt pas un "caractère pénal". Et comment pourrait-il en être autrement ? Je me suis limité à répéter ce que lui-même a dit de lui-même : qu’il a été un espion de la CIA. En revanche, ce qu’il écrit, lui, revêt un caractère pénal et, bien entendu, j’ai immédiatement déposé une plainte en justice.

Mais jusqu’à quel point la justice italienne peut-elle protéger un écrivain des abjectes paroles de Ferrara ? Celui-ci a lancé à mon encontre une fatwa à l’envers. En me désignant comme le possible mandant de son possible assassinat, dans un pays caractérisé par la Mafia, les obscures activités de terrorisme, les associations clandestines, et avec les vieilles amitiés que Ferrara aura certainement dans la CIA, il s’adresse à quelque Inconnu afin que celui-ci me ferme la bouche à temps, et qu’il désamorce la liberté de parole dont je dispose et qu’il craint (son recours à l’adjectif "linguistique" est symptomatique).

Au cas où les choses n’auraien pas été déjà assez claires, un autre quotidien de l’empire de Berlusconi, Libero (appréciez là aussi l’ironie), en a remis une couche en faisant figurer en manchette dans son édition du 7 octobre le titre suivant : "Ferrara déclare : Tabucchi et Colombo veulent me tuer", selon une progression logique dans la formulation.

Voilà l’Italie d’aujourd’hui. Je crois que cet épisode, même s’il est strictement personnel, constitue un portrait éloquent de mon pays.

Antonio Tabucchi, écrivain.
da Le Monde

1 commento:

Anonimo ha detto...

Se solo Ferrara fosse capace di vergognarsi.....